Le droit à un niveau de vie suffisant : vers un revenu de base universel ?

Face à la précarité grandissante et aux inégalités persistantes, le concept de revenu de base universel s’impose comme une solution audacieuse pour garantir à tous un niveau de vie décent. Exploration d’une idée révolutionnaire qui pourrait redéfinir notre contrat social.

Les fondements juridiques du droit à un niveau de vie suffisant

Le droit à un niveau de vie suffisant est inscrit dans plusieurs textes fondamentaux du droit international. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 affirme dans son article 25 que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille ». Ce principe est repris et développé dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, ratifié par la France en 1980.

Au niveau européen, la Charte sociale européenne révisée en 1996 reconnaît le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Elle engage les États signataires à prendre des mesures pour garantir l’accès effectif à l’emploi, au logement, à la formation, à l’éducation, à la culture et à l’assistance sociale et médicale.

En France, si le droit à un niveau de vie suffisant n’est pas explicitement inscrit dans la Constitution, il découle du principe de dignité de la personne humaine et du droit à mener une vie familiale normale. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs consacré en 1998 l’objectif à valeur constitutionnelle de possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.

Les limites du système actuel de protection sociale

Malgré un arsenal juridique étoffé et un système de protection sociale développé, force est de constater que le droit à un niveau de vie suffisant reste un idéal pour de nombreux citoyens. En France, près de 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, soit 14,6% de la population selon l’INSEE.

Le système actuel de minima sociaux (RSA, AAH, ASPA, etc.) présente plusieurs lacunes. Complexe et stigmatisant, il génère un important non-recours aux droits. Selon l’Observatoire des non-recours aux droits et services, plus d’un tiers des personnes éligibles au RSA n’y font pas appel. De plus, ces dispositifs ne permettent généralement pas de sortir de la pauvreté, avec des montants inférieurs au seuil de pauvreté.

Le système est aussi critiqué pour ses effets désincitatifs à l’emploi, avec des situations où la reprise d’une activité peut entraîner une perte de revenus. Enfin, il peine à s’adapter aux nouvelles formes de travail (auto-entrepreneuriat, temps partiel subi, contrats courts) qui se développent dans notre économie.

Le revenu de base universel : une solution innovante ?

Face à ces constats, l’idée d’un revenu de base universel (RBU) gagne du terrain. Il s’agirait d’un revenu versé de manière inconditionnelle à tous les citoyens, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie. Ses partisans y voient un moyen de garantir effectivement le droit à un niveau de vie suffisant tout en simplifiant radicalement le système de protection sociale.

Plusieurs arguments sont avancés en faveur du RBU :

– Il permettrait d’éradiquer la pauvreté monétaire et de réduire les inégalités.

– Il offrirait un filet de sécurité face aux mutations du travail et au risque de chômage technologique.

– Il favoriserait l’autonomie des individus et leur liberté de choix (formation, création d’entreprise, engagement associatif).

– Il valoriserait les activités non marchandes (travail domestique, bénévolat) essentielles au fonctionnement de la société.

– Il simplifierait considérablement le système administratif et réduirait les coûts de gestion.

Les défis de la mise en œuvre d’un revenu de base

Si l’idée séduit, sa mise en œuvre soulève de nombreuses questions. La première concerne son financement. Selon les estimations, un RBU au niveau du seuil de pauvreté (environ 1000€ par mois) coûterait entre 300 et 400 milliards d’euros par an en France. Plusieurs pistes sont évoquées : réaffectation des budgets de protection sociale existants, taxation accrue du capital et des hauts revenus, création d’une taxe sur les transactions financières, ou encore création monétaire.

Se pose aussi la question du montant et de l’individualisation du RBU. Faut-il prévoir un montant unique pour tous ou des variations selon l’âge ? Comment articuler le RBU avec les aides au logement ou les prestations liées au handicap ?

L’impact sur le marché du travail fait débat. Certains craignent une désincitation au travail, tandis que d’autres y voient au contraire un moyen de revaloriser le travail en renforçant le pouvoir de négociation des salariés.

Enfin, la mise en place d’un RBU nécessiterait une refonte profonde du système fiscal et social, soulevant des questions juridiques et constitutionnelles complexes.

Les expérimentations en cours et les perspectives

Face à ces interrogations, plusieurs pays ont lancé des expérimentations de revenu de base à petite échelle. En Finlande, un test mené auprès de 2000 chômeurs entre 2017 et 2018 a montré des effets positifs sur le bien-être des participants, sans impact négatif sur l’emploi. Aux Pays-Bas, plusieurs municipalités ont testé des formes de revenu de base pour les bénéficiaires de l’aide sociale.

En France, le département de la Gironde a mené une étude de faisabilité d’un revenu de base. Treize départements ont proposé en 2018 une expérimentation à plus grande échelle, qui n’a finalement pas été autorisée par le gouvernement.

Au niveau européen, l’idée progresse. Le Parlement européen a adopté en 2017 une résolution appelant les États membres à explorer le concept de revenu de base. La Commission européenne a lancé en 2020 une consultation sur le renforcement du socle européen des droits sociaux, incluant la question du revenu minimum.

Si le chemin vers un revenu de base universel reste long et semé d’embûches, l’idée s’impose de plus en plus dans le débat public comme une réponse possible aux défis sociaux et économiques du 21ème siècle. Elle invite à repenser en profondeur notre modèle social pour garantir effectivement à chacun le droit à un niveau de vie suffisant.

Le droit à un niveau de vie suffisant, proclamé il y a plus de 70 ans, reste un défi majeur pour nos sociétés. Le revenu de base universel, en garantissant à tous un socle de ressources, pourrait constituer une avancée décisive. Si sa mise en œuvre soulève de nombreuses questions, l’idée mérite d’être explorée sérieusement face aux limites du système actuel et aux mutations profondes du monde du travail.